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Yvonne RECAMIER

Livre édité en mai 1995 lors de l'exposition consacrée à Yvonne Récamier au musée du Bugey-Valromey à Lochieu

La Chapelle de Retord

page 39

 

 

Elle a réalisé d'autres aquarelles sur la Chapelle ainsi que sur de nombreux sites et paysages sur Retord. Une exposition  de reproduction de ses aquarelles lui est consacré tout l'été 2022 à  la Ferme de Retord

Voici quelques aquarelles de paysages bugistes, la première à gauche est probablement le Lac Genin et le Lac de Saint Champ sur la droite

Article tiré de la revue LE BUGEY n°37 - 1950

 

Nul parmi nous, et de nombreux Bugistes, n'a appris, sans une profonde émotion, la fin prématurée d'Yvonne RÉCAMIER et des circonstances tragiques de sa mort nous la rendent plus émouvante encore.


Yvonne RÉCAMIER a été une aquarelliste de talent, dont la réputation a franchi les limites de notre petite patrie.
Il est bien peu de Bugistes s'intéressant aux choses de l'art, qui ne possèdent une ou plusieurs de ses oeuvres.


Elle était une travailleuse acharnée et je l'entends encore me dire :

 

« Je renonce à comprendre les peintres modernes qui font table rase des qualités que mes maîtres m'ont toujours apprises à chercher et que je chercherai jusqu'au bout Â»


Il se dégage de ses oeuvres une certaine mélancolie qui n'est peut-être pas le propre de notre Bugey, dont les paysages si harmonieux sont plutôt souriants, mais un charme prenant n'en est cependant pas exclus.


Nous sommes remplis de tristesse à la pensée que la source de toute joie pour nos yeux, est à jamais tarie, et nous prions son pauvre père de trouver ici toute notre respectueuse sympathie.

 

G. SOUMILLE

Le Plateau de Retord

"Ferme de la Platière"

page 8

Article tiré de la revue LE BUGEY n°39 - 1952


C'est une tâche bien douce que d'avoir a évoquer ici quelques souvenirs d'Yvonne RÉCAMIER.


Le Bugey peut être fier d'avoir à ajouter à la liste déjà longue de ses meilleurs, le nom d'une âme belle et noble, celui d'une artiste qui avait parmi les qualités des grands, l'amour passionné de son art, guidée par la plus parfaite droiture envers les émotions qu'elle devait au pays qui l'a vue naître.


Elle avait grandi dans l'atmosphère délicate et douce des bords du Séran avec, comme toile de fond, les collines et les valons de Cressin, le val du Rhône et la paix de ces nombreux petits lacs dont ce pays est si riche.

 

Ses meilleures heures d'enfant se passèrent assurément le long des ruisseaux, bercée par le chant réguliers des eaux ou dans les prairies humides de Rochefort et de Lavours, baignées par l'air sans cesse chargé de brumes légères qui atténuent tous les excès.


Ne pourrait-on pas voir dans cette nature discrète et un peu voilée ce qui conféra à Yvonne RÉCAMIER cette vision particulière, un peu mélancolique, qui caractérise son oeuvre ?


Lorsque plus tard, elle devint peintre, elle aimait les sentiers rocheux qui menaient aux étangs ou au Rhône souvent débordé. Elle attendait l'heure, " son " heure , " son " ciel assourdi, " son " soleil à l'heure voulue de son déclin ; puis avec toute la force décidée d'une santé particulièrement robuste, elle posait son chevalet, plantait son parasol, oubliant tout sauf ses pinceaux qui couraient sans arrêt de la boîte à couleurs au papier, tant que durait l'enchantement.


Elle délaissait les sites trop peuplés ou les routes bruyantes et agitées qui annihilaient en elle tout rêve et tout charme.


Pourquoi fallut-il cependant que ce fut sur une de ces routes que survint l'accident, le drame de cette mort qui fit d'elle une torche vivante dans une robe imbibée d'essence, enflammée par l'échappement de son vélomoteur ? Elle ne put survivre à de telles brûlures. En infirmière avertie, elle n'eut d'ailleurs aucune illusion.


Et pendant les heures qu'elle vécut encore, en toute lucidité, ayant rayé d'un trait ce qu'avait été sa propre vie, elle ne songea qu'aux siens, à ce vieux père dont elle était la vie et le soutien, et qui allait tant souffrir ! Elle mourut en sainte et en martyre.

 

Les RÉCAMIER furent, en Bugey, une très grande famille. Le nombre des descendants d'Anthelme RÉCAMIER fut tel qu'ils eussent suffit à eux seuls à peupler une ville comme Belley. Originaires du Valromey, le premier RÉCAMIER dont le nom figure sur les registres communaux, apparaît au 17° siècle comme habitant les plaines de Rochefort...


L'un d'eux construisit le château, un autre le pont. Cette famille bourgeoise comptait parmi les siens des notaires royaux, des prêtres, des chirurgiens-jurés. Ces derniers furent nombreux. Un Anthelme (ce prénom était donné à tous les aînés) fut le père de François, né en 1709, négociant ayant fait fortune à Lyon, qui eut lui-même pour fils Jacques-Rose, le futur mari de la belle Juliette BERNARD, une Lyonnaise.


Yvonne était donc ainsi l'arrière-petite nièce de Juliette RÉCAMIER, de cette Juliette dont la beauté a été immortalisée part Madame VIGÉE-LEBRUN, par GÉRARD, par CHINARD. L'entourage de tels artistes épris de sa beauté, avait créé autour de Juliette une atmosphère de charme et d'idéal.


Cette atmosphère n'aurait-elle pas été une sorte de levain qui, après quatre générations, aurait fait éclore le sens artistique d'Yvonne ?
Il ne semble pas invraisemblable que le passé des générations antérieures ait pu préparer cette vocation.


Toute enfant, Yvonne sentait l'impérieux besoin de fixer ses sensations par des images. Ses cahiers étaient illustrés, comme ses devoirs, comme ses narrations, de la vie campagnarde de Cressin...
Puis ce furent progressivement les paysages familiers où s'écoulaient les heures de loisir. Sa sensibilité eut tôt fait de s'identifier à cette nature bugiste faite de sérénité, de silence et de grisailles.


Mais ce fut d'abord tout autour de la vieille demeure ancestrale de Cressin, où Juliette, venue de Savoie en Bugey rendre visite aux parents de son mari, fut reçue en 1810, qu'Yvonne trouva à loisir tout ce qui pouvait en elle éveiller le goût de peindre.


En premier lieu, cette maison charmante avec son grand toit sur lequel se balançaient les branches des grands arbres. Elle était construite en bordure d'un village paisible, adossée au coteau sauvage couvert de taillis qui retient sur son autre versant le petit lac de Barterand. Sa cour était herbue, avec un bassin où l'eau coulait sans arrêt, et se prolongeait en un verger qui semblait sans limites. Au delà du portail, immédiatement, des chemins conduisaient en quelques minutes au Rhône, au bord du Séran, près d'un petit lac dont les eaux sont un miroir, ou dans les prairies mouillées de Rochefort et de Lavours.


Quel bonheur pour un artiste que d'avoir à sa portée de telles sources d'émotions ! Et tout cela noyé dans cet air particulier de ce pays au sol humide où tout est estompé, atténué, plein de douceurs et de teintes mélancoliques aux heures du soir. Il n'est pas surprenant que de telles visions aient favorisé l'extériorisation de l'âme d'Yvonne, si bien préparée par ailleurs, et que le peintre et ces paysages se soient spontanément accordés sur les mêmes longueurs d'onde.


Car Yvonne ne fut jamais un peintre de la joie exubérante, de la grande lumière, des couleurs excessives. Même les fêtes si gaies du printemps bugiste qu'elle aimait pourtant, avec les arbres en fleurs et les jeunes pousses vertes des saules, n'ont su autant la mettre à l'aise qu'un temps voilé, un ciel gris ou même orageux. Les paysages faciles, agréables n'ont jamais été les siens, alors que les lignes austères et sombres d'une colline à une fin de jour lui communiquaient une suractivité extraordinaire. A de tels instants, elle travaillait sans arrêt et lavait coup sur coup plusieurs aquarelles. Elle allait attendre l'heure H, la sienne, celle bien souvent où les derniers rayons d'un soleil mourant, enrichissaient la nature sans violence. Elle cherchait ainsi des sensations nobles et pures où se perd jusqu'au souvenir des vulgarités de la vie. Elle goûtait l'atmosphère de vie qu'on respire devant la nature quelle aimait profondément. Même au moment da la lumière la plus luxueuse, sa palette demeurait toujours sobre et modeste comme elle-même, trouvant la joie la plus complète aux courts instants où les gris rosés font place à la vivacité des lacs et des ors, avant que survienne le crépuscule incolore de la fin du jour. Sa santé à toute épreuve la rendait extrêmement dure pour elle-même. Au paysage, plus rien ne comptait, ni l'heure, ni la faim, ni la soif, ni le froid, ni la pluie, ni la neige, rien n'existait.


Ardente, infatigable, elle partait à pied, à bicyclette et, hélas, à vélomoteur, cherchant son motif, ses lignes harmonieuses ou l'arbre penché sur l'étang dont la forte valeur mettait en relief les tons délicats, assourdis toujours, de l'heure qu'elle avait choisie.
Elle peignit parfois en montagne, en pleine neige. Mais elle n'avait pas là toute son aisance et ces moments alpins étaient bien écourtés pour revenir à Cressin, vers son Rhône qui, sur une rive ou sur l'autre, offrait toujours un sujet à son gré.

Elle peignit parfois en montagne, en pleine neige. Mais elle n'avait pas là toute son aisance et ces moments alpins étaient bien écourtés pour revenir à Cressin, vers son Rhône qui, sur une rive ou sur l'autre, offrait toujours un sujet à son gré.

 

L'été lui apportait cependant une autre et très grande joie. Sa famille se tournant vers le véritable berceau de ses ancêtres, allait occuper pendant quelques mois la vieille ferme de La Platière, sur le plateau du Retord.

 

Les derniers monts du Jura qui viennent mourir dans la plaine de Culoz à Lavours, souvent inondée par le Rhône, sont formés par de hauts plateaux de prairies où paissent les troupeaux. Ils s'accrochent à l'éperon solidement ancré dans la plaine qu'est le Grand-Colombier. C'est Brénod, c'est Retord. On y accède de la plaine par le Valromey ou par des cols où la vue s'étend au loin vers le sud-est et les grandes Alpes. Ces plateaux, arides et peu hospitaliers, qui dominent de grandes forêts de sapins, semblent faits pour les peintres. Les lignes d'une extrême simplicité sont nobles et grandes, presque toujours closes par un horizon assez éloigné de montagnes bleues, par les monts d'Hauteville ou par la croupe sévère du Colombier. Les terrains que la culture de l'homme n'a pas encore troublés, sont faits de prés onduleux d'où émergent parfois quelques roches calcaires grises ou mauves.

 

Quelques bosquets de buis et de hêtres fixent les distances avant le creux des vallées et l'horizon bleu. Ici, pas d'obstacles à la magnificence d'un ciel. Toutes ,les richesse s d'un nuage ou d'une lumière diffusées par un autre nuage, à travers des tâches d'azur, sont offertes au regard.

 

Yvonne RÉCAMIER trouva dans ces paysages simples et grands, qui eussent également convenus à la palette d'un GROSJEAN, un autre cadre fait pour elle. Et dans l'euphorie des beaux jours d'été, elle passa dans ces prairies rousses, les plus vibrantes heures de sa vie et, assurément, celles où elle s'est " découverte ", où elle a traduit ce qui vivait le plus intensément et le plus impérieusement en elle. De ces paysages apparemment sévères et, il faut le dire, un peu tristes, elle en a produit ses meilleures études, les plus définitives, les plus représentatives de ce qui l'avait fait artiste.

 

A sa vingtième année, ce fut un autre dépaysement. Ses parents durent quitter pour un temps le Bugey pour s'installer à Lyon. Changement plus important dans les habitudes peut-être que dans les visions que lui prodiguèrent les grises brumes lyonnaises qui ne furent d'ailleurs pas contraires à ses goûts. Ce séjour obligé lui permit de suivre les conseils de l'aquarelliste VILLON, auprès de qui elle perfectionna sa technique des couleurs. Mais la gamme mélancolique d'Yvonne demeura toujours sur sa palette, en dépit des tons vifs et clairs des oeuvres de son maître. Dans les salons de Paris et de Lyon où elle exposa ses oeuvres, elle obtint de nombreuses récompenses.
Elle fut " hors concours " à Lyon.

 

La guerre de 1914 la fit infirmière, comme d'ailleurs celle de 1939 où elle put se dévouer à l'hôpital de Belley.

 

Son ardente nature, la violence de son amour de l'art paraissaient lui promettre de fécondes années d'un travail toujours meilleur. Il est profondément triste de voir, en de si courts instants, l'anéantissement d'un tel avenir.

 

Mais il faut s'incliner respectueusement devant cette noblesse d'âme qui, à ses ultimes instants, sut oublier tout ce passé d'intense vie, d'intenses joies intimes, pour ne songer qu'aux conséquences de cette fin subite et inattendue. Elle sut rassembler en quelques pensées tout ce qu'elle avait à dire à ceux qu'elle allait quitter, ne songeant qu'à son vieux père pour qui furent ses dernières paroles. Elle s'éteignit le 2 septembre 1949.

 

Son père l'a rejointe depuis et tous deux reposent aujourd'hui côte à côte dans l'humble cimetière familial de Cressin, du sommeil de ceux que la vie a grandis par les luttes comme par les joies, car, pour tous, la vie n'est bien qu'une lutte, même pour atteindre à la grande joie de l'âme.

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