Montvachon (Lalleyriat) - 1 075 m
Montvachon
"La ferme des neiges"
Comme on peut l'observer, il ne reste plus grand chose de cette ferme située dans la montagne au dessus de Lalleyriat au nord de Merlogne et à proximité de Narmont et de la Seiglière (voir plan napoléonien).
Après le départ des derniers fermiers, la ferme n'a plus été exploitée, elle a servi de résidence secondaire et de refuge l'hiver pour les skieurs. Entre 1950 et 2015, la forêt a étendu son emprise et les paturages ont peu à peu disparus (voir carte ci-dessous).
Début 1938, un journaliste parisien, ami avec le Docteur Touillon de Nantua, raconte dans une succession d'articles publiés dans "Le Journal" son épopée sur le plateau de Retord...
... et notamment "Une soirée à la ferme des neiges", vous trouverez l'ensemble des articles ci-dessous (publiés sur Issuu) et tout le texte concernant Montvachon en bas de page.
Voici également, quelques "photos de famille" prises à Montvachon dans le courant de l'année 1942.
Concernant l'origine du nom, on pourrait être tenté par un facile "faux ami" Mont+Vache, mais il n'en est rien et il semble plus probable et cohérent de se porter sur:
Un dérivé du latin vaccus, « [terrain] vide » qui a donné au vieux français le terme vaque, « terre inculte, déserte », ancien français vaccu, vacu, « abandonné, vide »
http://henrysuter.ch/glossaires/topoV0.html#vache0
Si vous voulez vous aussi comparer des cartes anciennes comme des photos anciennes, l'IGN a mis en place une "machine à remonter le temps" !
UNE SOIRÉE A LA FERME DES NEIGES...
On parle toujours de l'hospitalité écossaise. On pourrait aussi bien donner en exemple celle des Bugistes (lisez : les habitants du Bugey). Elle ne craint aucune comparaison.
A peine débarqué de mon wagon, j'étais pris en charge par mes amis et aussi par les amis de mes amis. Un quart d'heure après, on parlait montagne, neige et ski devant une table où défilèrent une heure durant des plats mijotés selon la meilleure tradition culinaire du monde.
Les arrivants du samedi
On brossa, au dessert, le programme de mon séjour dans la montagne :
— Voilà ! dit le docteur T. Nous partirons ce soir. C'est justement samedi. Tu verras tout à l'heure débarquer de leurs voitures, de leurs cars ou de leurs trains tous les skieurs qui, venus de Lyon, de Bourg, de Chalon ou de Mâcon, passeront la nuit dans leurs fermes, sur le plateau de Retord.
Notre groupe, à nous, comporte une quinzaine de membres. Ce soir, nous serons huit, jeunes et. quadragénaires compris. On va nous emmener en voiture jusqu'à Lalleyriat. Et, depuis là, nous monterons dans la neige jusqu'à Montvachon. C'est notre « ferme » ; inutile de te donner l'étymologie, hein ?
— C'est loin, de Lalleyriat à Montvachon ?
— Non. Trois kilomètres peut-être.
Une heure de montée. Ne t'inquiète pas d'ailleurs. On te mettra des peaux de phoque sous tes skis pour éviter les glissades en arrière.
— Et qu'est-ce qu'on emporte ?
— Il y a là-haut du bois, du vin, des conserves, tout ce qu'il faut pour s'éclairer, se chauffer, se coucher et faire la cuisine. Mais puisque tu es là,
je décrète soirée de gala. On va te faire pour ton dîner, un rôti de bœuf et un ramequin.
— Un ramequin ?
— C'est un plat du pays, une espèce de fondue au fromage, mais avec une bonne proportion de fromage de la région. Tu vas te régaler.
Exempt de sac
— J'y compte bien. Mais comment emporte-t-on les provisions ?
— N'aie pas peur. En ta qualité de novice, tu seras exempt de sac, comme au régiment.
— Quant à nous, continua le chef de l'expédition en s'adressant aux autres convives, rendez-vous ici, à 7 heures, avec tout ce qu'il faut.
Ainsi fut fait. A l'heure dite, la troupe était au complet, en tenue, sac au dos, les skis sur l'épaule. Choses et gens s'entassèrent pêle-mêle dans deux voitures.
Un quart d'heure plus tard, nous étions dans un village enfoui dans la neige jusqu'aux fenêtres, mais dont l'unique auberge était envahie par une foule de skieurs arrivés là à peu près en même temps que nous. Dans la nuit, les sacs tyroliens et les skis leur donnaient l'aspect imprécis de coléoptères géants entrevus dans un rêve. Mais le bruit, l'allégresse qui régnaient, les bruyants échanges de bienvenue ne laissaient point de doute sur la réalité de ces pseudo-fantômes. On reconnaissait dans l'ombre les skieurs :
— Ce sont ceux de la ferme de la Cuaz.
— Vous montez là-haut ?
— Oui. On se verra demain, sur le plateau ?
— Entendu.
L'instant critique
Pour moi, l'instant critique était arrivé. Avec dix jours d'école pour tout bagage, je ne me sentais pas fier. Mais personne n'en vit rien : on a son amour propre. On m'aida à chausser mes planches. On me mit en mains les bâtons. Puis les jeunes gens partirent les premiers en' nous recommandant :
— On va prendre par le raccourci.
Vous, passez sur la route. Ce sera plus facile. Quand vous arriverez, le feu sera allumé et tout sera prêt pour le dîner.
— Je reste avec toi, dit le docteur.
— Allons-y. Et doucement, pour ne pas nous essouffler trop tôt. En route.
Alors commença, parmi les sapins givrés comme des arbres de Noël, dans la neige vierge et légère, sous un clair de lune étincelant, une prodigieuse et irréelle promenade. Nous avancions, un ski après l'autre, appuyés sur nos bâtons, tellement émerveillés par la splendeur du décor qu'à peine sentions-nous la fatigue crisper nos cuisses et nos poignets.
Grâce aux peaux de phoque, je montais sans glisser et sans trop de peine.
Tous les trois ou quatre cents mètres, une halte nous permettait à la fois de souffler et de jouir du féerique coup d'œil offert par les vallées disposées en étages au-dessous de nous, noires et blanches sous le clair de lune.
— « C'est encore loin la ferme ? »
En haut d'une grimpette un peu plus rôide que les autres, il me sembla que nous marchions depuis bien longtemps.
J'interpellai mon compagnon :
— Dis donc,- c'est encore loin, la ferme ?
— Peuh ! Une demi-heure à marcher encore, peut-être.
— Mais on m'avait dit qu'en une heure nous serions arrivés ?
— On t'a un peu bourré le crâne pour te donner du courage. Mais tu vois le sentier, là, à droite ? On le prend, on tourne une fois à droite, une fois à gauche, et l'on voit Montvachon.
J'étais un peu refroidi. Mais quoi faire ? Je ne répondis rien et m'appliquai à monter avec le maximum de souplesse et le minimum d'efforts le sentier forestier enfoui dans les sapins coiffés d'hermine. Le docteur ne m'avait pas menti : il s'agissait bien de deux virages seulement. Mais, Dieu, qu'ils étaient éloignés l'un de l'autre ! Quand
enfin, ruisselants de sueur, nous aperçûmes les lumières de la ferme, je tirai ma montre. Nous étions en route depuis plus de deux heures !
On a oublié le fromage
Une silhouette noire, à ce moment, se dressa devant nous :
— Est-ce vous qui avez le fromage pour le ramequin ?
— Non.
— Alors, c'est bien ça : on l'a oublié à Lalleyriat. Je descends le chercher.
Et, à ma stupeur admirative, je vis un de nos compagnons, à peu près de mon âge, mais sec comme un coup de trique, halé comme un peau-rouge et à l'aise sur ses skis comme Speicher sur son vélo, plonger tout droit, au mépris des routes tracées, vers le trou noir de la vallée.
— Ne t'inquiète pas pour lui, dit mon compagnon. C'est l'inspecteur des Eaux et Forêts. Il est toujours par monts et 'par vaux, sur ses skis. C'est un des meilleurs skieurs dé la région. Il sera vite revenu.
Nous arrivions à la ferme. Le bâtiment, massif avec ses toits en pente raide, disparaissait jusqu'à mi-hauteur dans la neige. Mais la porte était déjà dégagée. Sitôt le seuil franchi, un grand feu de bois qui ronflait dans un poêle rustique, nous réjouit le cœur. L'eau pour les grogs chauffait. Les jeunes femmes étaient déjà en cuisine. Un phono jouait, sur un disque éraillé, la marche de Tchaikowsky.
Dans la pièce à côté, une grande salle dont la moitié était occupée par un bat-flanc, les hommes s'affairaient à secouer des paillasses et à faire luire un autre poêle de bonnes dimensions.
— Voilà pour la nuit, me dit mon cicérone. Tu auras une couverture et une paillasse. Ça te rappellera la salle de police.
De bonnes odeurs de cuisine commençaient à flotter. Le couvert, sur une grande table de bois, était déjà mis. Le vin blanc chauffait pour le ramequin.
Je me laissai tomber sur un banc.
Puis j'ôtai ma chemise pour la faire sécher devant le feu. Elle en avait besoin : la sueur en ruisselait. On tira d'un sac pour moi des lainages souples, épais et chauds, et je bus un coup de vin blanc qui me laissera toute ma vie un impérissable souvenir.
La vie est belle
Le dîner fut exquis, et dévoré avec une voracité de sauvages. La soirée fut splendide. Au dehors, le vent qui s'était levé, soufflait en tempête. Les sapins sifflaient et gémissaient en tordant comme des membres douloureux leurs branches givrées étincelantes sous la lune.
Au dedans, nous nous sentions bien au chaud, bien à l'abri, joyeux de l'effort accompli. Des rires, des chants, des blagues éclataient dans une atmosphère saine, sans rien d'équivoque, de jeunesse heureuse et de camaraderie solide et sportive.
Déjà les jeunes femmes mettaient de l'ordre dans la maison, aidées par les jeunes gens. En un tournemain, la table était débarrassée. la vaisselle rangée.
Ainsi l'exige la loi des skieurs de la montagne.
On s'attarda encore un peu à écouter ronfler le poêle. Puis, après un dernier coup d'œil sur le panorama de la vallée, le docteur, le sage de l'équipe, déclara :
— Maintenant, on va aller se coucher.
Il est tard. Nous sommes fatigués. Et il faut penser à la journée de demain. Les dames les premières. Allez: Derrière le rideau.
— A nous, maintenant. Et n'oubliez pas, jeunes gens, le respect dû aux vieillards.
— Il pourrait se traduire demain par un petit déjeuner tout prêt, bien chaud, que vous apporterez au lit - si j'ose dire — à vos anciens. Bonsoir !
Trois minutes plus tard, roulé comme un saucisson, dans ma couverture, voluptueusement étendu sur ma paillasse, je ronflais à faire honte à nos deux poêles réunis.
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